Accueil Economie Supplément Economique Le secteur bancaire sous la loupe des agences de notation financière | Entretien – Ahmed El Karam, Président du conseil d’administration de Tunisie Leasing & Factoring, à La Presse : “Le système bancaire a toujours apporté tout l’appui nécessaire”

Le secteur bancaire sous la loupe des agences de notation financière | Entretien – Ahmed El Karam, Président du conseil d’administration de Tunisie Leasing & Factoring, à La Presse : “Le système bancaire a toujours apporté tout l’appui nécessaire”

Selon Ahmed El Karam, il est toujours délicat d’impliquer le système bancaire d’une manière importante dans le financement  du budget de l’Etat. Il estime  qu’il y a aujourd’hui une  conscience évidente et réelle du  fait que la priorité doit être donnée à la consolidation des assises financières des banques pour qu’elles puissent continuer à jouer leur rôle et supporter  les conséquences des crises économiques nationales, et mondiales qui risquent de perdurer au cours des années à venir.

Comment se porte le secteur bancaire tunisien face à la conjoncture économique difficile que traverse le pays?

Il est tout à fait normal que le secteur bancaire soit affecté par la crise que vit la Tunisie depuis quelques années et qui a été aggravée tout dernièrement par les conséquences de la guerre en Ukraine. Mais les chiffres de l’année 2021 et ceux des six premiers mois de l’année 2022 montrent une certaine résilience du secteur bancaire. J’en veux pour preuve l’augmentation du Produit Net Bancaire (PNB), également le redressement des bénéfices après la chute constatée durant les années du Covid. Cette situation démontre que le système bancaire s’est adapté aux conséquences de la crise et a mis en place les règles, d’une gouvernance préventive nécessaire, et a amélioré  ses process et ses procédures pour continuer à jouer son rôle et à être près des entreprises et des ménages.

Certes, la situation demeure encore critique et le système bancaire est maintenant appelé à faire face à plusieurs défis. Il a contribué au financement du budget de l’Etat pour des montants très importants et la part des financements du secteur public atteint maintenant une proportion qui peut être très difficilement dépassée, sans mettre en cause le soutien apporté aux entreprises et aux ménages. Il y a lieu d’agir sur la manière rationnelle d’assainir les finances publiques et également sur les différents instruments non monétaires de financement du budget de l’Etat. Et là, le secteur bancaire peut apporter une grande contribution, en termes d’innovation et également en termes  de mobilisation de l’épargne, notamment celle des Tunisiens résidant à l’étranger pour orienter d’une manière un peu plus importante le financement du budget de l’Etat.

Le système bancaire a le défi d’aider les entreprises qui ont souffert des conséquences de la crise Covid, mais aussi de la perturbation des chaines d’approvisonnement et de l’augmentation des coûts qui a accompagné la reprise laborieuse de l’activité économique. Cela suppose qu’on poursuit  l’action qui a été engagée durant les années 2019-20 et qu’on continue d’apporter les ressources nécessaires aux entreprises qui ont été fragilisées par les perturbations des marchés, local et international, afin qu’elles puissent continuer à jouer leur rôle et assurer la production des biens et des services.

Beaucoup estiment que depuis que la Tunisie s’est enfoncée dans la spirale du déficit budgétaire et de l’endettement, le secteur bancaire ne joue plus son rôle dans le financement de l’économie….

C’est une théorie classique de l’effet de l’éviction. Les ressources des banques étant par définition limitées. Si l’Etat pompe une grande part de ces ressources, il est inévitable qu’il ne reste pas assez de moyens pour financer les entreprises et les particuliers. Mais je pense que cela n’a pas été totalement le cas en Tunisie, parce que, tout d’abord,  la Banque centrale a  apporté les moyens nécessaires pour aider le système bancaire à être présent sur tous les fronts. Mais aussi parce que les relations entre les banques et les entreprises sont des relations historiques. Le système bancaire tunisien est intésgré dans l’économie tunisienne. Tout le tissu économique tunisien doit sa prospérité et son développement dans le temps à l’effort et au soutien du système bancaire. Mais n’empêche, il est toujours délicat d’impliquer le système bancaire d’une manière importante dans le financement  du budget de l’Etat. C’est quelque chose que je considère, personnellement, malsaine. Il y a des instruments plus adaptés, tels que le recours au marché financier. Les banques, qu’on le veuille ou non, sont exposées au  risque souverain. Mais vu le problème de liquidité,  de reconstitution de ressources et de remboursement dans les délais des crédits octroyés,  toutes les banques ont compris cette situation, et on constate qu’il y a de moins en moins d’utilisation des ressources bancaires dans le financement du budget de l’Etat et c’est salutaire. L’Etat a, lui-même, compris l’enjeu, puisqu’il s’est mis maintenant à émettre des emprunts obligataires  pour des montants de plus en plus importants et qui rencontrent d’ailleurs un succès auprès des épargnants.

L’agence de notation Moody’s a récemment placé la note de dépôt bancaire “Caa1” de 5 banques tunisiennes sous surveillance en vue d’une révision. Que traduit cette décision et quel est son impact sur les banques en question?

C’est une action un peu routinière,  parce que les notes des banques suivent la notation de l’Etat tunisien. Le risque tunisien est maintenant mis sous surveillance, il est normal que celui des banques le soit également. Mais ce qui est important à signaler, c’est que le système bancaire et le pouvoir monétaire sont très sensibles à la nécessité impérieuse de consolider d’une manière rapide les assises financières des banques. Bien que les banques réalisent des ratios de capital, qui sont largement en dépassement aux normes réglementaires, le souci de la Banque centrale demeure  toujours d’adapter l’effort de provisionnement au risque de l’économie tunisienne. Des stress tests sont opérés régulièrement et donnent lieu à des constitutions de provisions collectives pour des montants de plus en plus importants. Donc, les banques sont en train de provisionner même pour des créances classées. Vous savez également que l’année 2023 verra l’entrée en vigueur des normes Ifrs. Ce sont des normes qui tiennent compte d’une manière opérationnelle des risques réels des banques. Ces normes vont introduire un affinement du processus d’évaluation des risques et pourraient impliquer effectivement un besoin de renforcement de fonds propres pour couvrir un risque qui sera mieux calculé, mieux évalué et,par voie de conséquence, mieux couverts. Je pense réellement qu’il y a maintenant une conscience évidente et réelle du  fait que la priorité, au-delà d’ailleurs des normes réglementaires,  doit être donnée à la consolidation des assises financières des banques pour qu’elles puissent continuer à jouer leur rôle et supporter, sans être fragilisées,  les conséquences des crises économiques  qui perdurent et qui risquent de s’aggraver  au cours des années à venir.

Maintenant que les négociations avec le FMI sont dans la dernière ligne droite, quelles sont les perspectives du secteur bancaire, une fois l’accord avec le fonds conclu?

L’accord avec le FMI pour une facilité élargie de crédit qui a été signé avec les experts est une avancée louable qu’il faudrait signaler d’une manière très positive, certes. Certains experts évoquent la faiblesse du montant (1,9 milliard de dollar). Mais la Tunisie passe par une phase un peu difficile et le soutien du FMI obéit à des règles qui s’imposent. Je pense qu’il est déjà intéressant que la Tunisie   réussit enfin à avoir un accord avec le FMI permettant d’engager une meilleure maitrise du déficit budgétaire, de plus est  va changer — espérons-le — l’image de la Tunisie sur la scène financière internationale. C’est un pays qui a maintenant un programme de réformes et qui a présenté des actions précises au FMI. Espérons que ce programme de réformes va s’accélérer pour que nous puissions passer au déblocage  du montant du crédit, puisqu’il dépend de l’avancement du programme des réformes. Les banques en tireront profit, parce qu’elles auront une plus grande facilité à accéder au financement extérieur; 

La relation de correspondant bancaire pourrait, également, s’améliorer, en termes, principalement, de relations financières et commerciales. Il faut maintenant capitaliser sur cette avancée pour pouvoir faire ce que nous avons tardé à faire et mettre la Tunisie sur un sentier de réformes. Les banques sont là et sont prêtes à apporter tout le soutien nécessaire. D’ailleurs, elles  l’ont faite auparavant: durant son histoire, la Tunisie est passée par des crises financières plus graves que celles que nous vivons actuellement. Et le système bancaire a été toujours prêt pour apporter tout l’appui à la fois technologique, technique et financier pour que les réformes réussissent et se réalisent rapidement. Nous arriverons ensemble à sauver l’économie tunisienne et à la mettre sur un vrai sentier de croissance durable, forte, inclusive et créatrice  d’emplois permanents.

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